Danielle Décuré, née en février 1942, que peu d’entre nous connaissent, fut la première des six femmes pilotes Française à exercer ce métier à Air France. (Air Inter à l’époque).

Pour conquérir sa place en cabine sur Airbus, elle du batailler dur pour s’imposer dans un monde essentiellement réservé aux hommes.  Elle raconte sa difficile démarche dans un ouvrage réalisé en 1982 pour le compte de France Loisirs, ouvrage ayant pour titre :

                                           Vous avez vu le pilote ?  C’est une femme.

Danielle Décuré, brillante étudiante issue d’une famille modeste, s’est heurtée à toute les portes qui devaient lui permettre de bâtir sa carrière. Les stages lui étaient refusé, mais aussi les aides financières sous forme de bourses. C’est ainsi qu’un jour elle entreprit de s’attaquer à un record qui, si elle le gagnait devait lui rapporter un petit pécule, de quoi financer sa formation.

Hélène Dutrieux, célèbre aviatrice, battit quelques records au début du siècle dernier, notamment en remportant la coupe Femina, en volant sur 167 km en 2 h 55. C’était en 1910. Depuis, chaque année, dix mille francs récompenses la femme qui, sur avion de tourisme, battra le record de l’année précédente à savoir : parcourir en une seule journée, la plus longue distance entre 3 aéroports de 3 pays différents. Cet argent représentait pour Danielle Décuré les conditions de sa survie aérienne. Pour cela il lui fallait trouver un avion à la hauteur du projet. Ce fut le wassmer 41  F-BFAR  n° 105, aujourd’hui toujours en service aux mains de Jean Pierre N’GUYEN, à Nantes.

Voici, ci-dessous, sous la plume de Danielle Décuré, 2 ou 3 pages ou elle raconte son voyage au Maroc, et sa victoire à bord du wassmer 41.

Partant  avec cet avion là, équipé d’un moteur de 182 cv, croisant à 200 km/h, et emportent 440 litres d’essence à bruler, je savais que  si aucun incident ne se produisait, je gagnerais. Première erreur ou plutôt premier risque : je suis partie sans avoir fait moi-même de contrôles de consommation. Je n’avais pas les moyens de payer de l’essence pas vraiment utile pour le voyage. Deuxièmement, je suis partie sans connaître l’avion et ses performances.

J’ai décollé de Genèvre-Cointrin, légalement, une demi-heure avant le lever du soleil, le 25 juin, Le jour le plus long. Je voulais aller à Tanger ou à Rabat et de là remonter le plus loin possible au nord à travers l’Espagne et la France. Sans me vanter, c’était intelligemment cogité. Je partais de l’est vers plus à l’ouest, ce qui me faisait gagner de précieuses minutes sur la durée du jour, et je me ménageais un atterrissage de secours en Espagne au cas où des incidents météo, mécaniques ou autres m’empêcheraient, soit de passer au Maroc à l’aller, soit de sauter les Pyrénées au retour. De plus, ce trajet en triangle limitait les frais d’essence pour la mise en place du départ et le retour sur Paris. Enfin, en Suisse et au Maroc, on parle Français et en cas de difficulté, ça simplifie tout. Mon voyage ne s’est pas déroulé aussi bien que je l’avais mijoté, mais ces précautions m’ont quand même permis de gagner.

Il y a ce jour là un vent de sud effroyable. << Ça rame>>. Sept heures après mon départ, j’aperçois enfin le rocher de Gibraltar et j’ai quelques ennuis avec mes fréquences radio : impossible de contacter Tanger. Je ne voulais pas me poser sur un terrain sans contact radio préalable, car je voulais être certaine que je pourrais ma ravitailler en essence et cela en moins d’une heure pour respecter le règlement de la course. Pas de Tanger-tour. Les jaugeurs des trois premiers réservoirs sont à zéro. Je tiens la main sur le robinet de transfert pour brûler jusqu'à la dernière goutte et ne changer de réservoir qu’au moment de la baisse de régime. C’est un peu dangereux, l’avion n’a qu’un moteur et s’il s’arrête de tourner, il peut ne pas vouloir redémarrer.

Je vole jusqu'à Rabat. La tour de Rabat m’annonce qu’il n’y a plus personne sur l’aérodrome pour me donner de l’essence, c’est l’heure de la sieste. Merde, merde et merde ! Deux solutions : aller jusqu'à Casablanca ou remonter vers l’Espagne. Mais remonter me fait perdre quelques cinq cents kilomètres et je vois s’envoler une brique sous mon nez. Dans ma tête les pour et les contre tournent comme le moteur à 2500 tours à la minute. Bon, je tente Casa-Tit-Mellil en espérant que le pompiste ne sera pas parti manger son couscous. L’aiguille du quatrième jaugeur maintenant effleure’ elle encore aussi le zéro. J’espère qu’elle est pessimiste. D’après mes calculs, j’ai théoriquement encore un peu d’autonomie. A chaque tour d’hélice, de plus, j’espère un champ où je pourrais me poser si elle s’arrête. Je lui parle gentiment : << tu ne vas pas me faire ça maintenant, ce serait trop bête. >>  Par radio, je contacte Casa. Ils ont dû sentir un trémolo angoissé dans ma voix car dès mon atterrissage, le commissaire qui doit attester de mon arrivée et de mon départ est là, un pilote de l’aéroclub m’aide à m’extirper de ma carlingue,  débouche les réservoirs, et pompe, pompe à perdre haleine pour les remplir. Il n’y a qu’une pompe à main. On se relaie. Je peux faire quelques pas pour me dégourdir les jambes et le dos raidis par cette première dizaine d’heures de vol et aller faire un bienvenu pipi bien que je n’ai rien bu depuis la veille et peu mangé. Le contrôleur n’accepte pas mon plan de vol pour la France, prétendant que je ne pourrai pas y arriver avant la nuit. Je n’ai pas le temps de discuter et je dépose un plan de vol pour Madrid, bien décidée à aller plus loin ; parce que je savais que Genève-Casa- Madrid, c’était pas du tout cuit contre une de mes rivales, Michèle, très entrainée en rallyes et futée.

Cinquante quatre minutes après l’atterrissage, je redécolle. Là, les éléments sont pour moi. Le vent qui m’empêchait d’avancer ce matin, me pousse. << Ça fonce >> Je passe la zone de Madrid sans m’annoncer. Je téléphonerai à l’atterrissage pour qu’on ne lance pas le dispositif de recherches. Les Pyrénées. Elles sont belles ce soir. Je me détends la France est juste derrière. Victoire, je sais qu’il suffit maintenant que j’aille à Biarritz, que Michèle ne me battra plus. Je passe la dernière chaîne et ô détresse, la face nord des Pyrénées sert de mur contre lequel vient buter une masse nuageuse, épaisse et impénétrable à mon petit avion. Le soleil tombe dans l’Atlantique il reste à peine une demi-heure de jour. Réfléchir vite, ne pas prendre de risque même pour des sous. J’avais quelques minutes plus tôt, aperçu dans une vallée un grand champ bordé de hangars qui ressemblait à un terrain d’aviation. Je le repère sur ma carte, c’est Logrono, mais je ne suis pas sûre de le retrouver. Je n’ai guère le choix, il faut que je le retrouve. 180° par la droite. Ouf, le voilà. Je fais un passage, je me pose. Des jeeps se précipitent autour de mon avion je suis tombée sur un terrain militaire Espagnol. J’ai l’impression qu’ils me prennent pour une espionne. Je ne parle pas un mot d’Espagnol, eux ne parlent ni Français ni Anglais. J’essais de leur faire comprendre que je suis en compétition en leur montrant mes cartes préparées. Il me faut d’urgence téléphoner à Madrid  et voir le commandant de la base pour qu’il tamponne mon barogramme et atteste mon heure d’arrivée. Ils sont bouchés, ces Espagnoles. Ils ne comprennent rien, et ne voient pas que je suis épuisée. Maintenant que j’ai pulvérisé le record précédent avec mes 2900 km et que j’ai virtuellement gagné mon million de centimes, je ne vais quand même pas le laisser s’envoler pour une question de formalités. Enfin un type avec de galons arrive. Son allure tellement méditerranéenne me fait lui parler en Italien. Miracolo !  Il sourit il comprend. Il m’emmène à son bureau.

Il appelle Madrid, il appelle partout, il tamponne. Maintenant tout m’est égal. Autrement dit, pour conserver un ton de littérature d’aérogare, je m’en tamponne aussi. Je n’ai plus qu’une envie : un lit.  Hélas,  on ne peut pas me laisser sortir de la base avant que la douane et la police ne soient venues également apposer leurs petits tampons. Or, on est samedi soir, ils ne pourront pas venir avant lundi. Il faudra rester là. Là où ? On va voir. Qu’importe. Je peux m’allonger par terre, dormir, ronfler. Quand même, après de longues palabres, on m’emmène en jeep à l’hôtel du coin. Consignes au patron de ne pas me laisser sortir. J’en serais bien incapable d’ailleurs. Je suis abrutie. Le lendemain matin, un beau soldat brun vient me chercher, le commandant de la base m’attend avec le café, on s’est renseigné : je ne suis pas une dangereuse Mata-Hari internationale. On me fait alors visiter les hangars pleins de rutilants JU52… dignes du musée. Je prépare mon tagazou. Un autre soldat brun, soudain tout intimidé, m’offre une gerbe de fleurs et je quitte le parking tel la générale elle-même, sous les yeux alignés de toute la base venue assister à l’évènement de l’année. Décollage. Palier au ras des moustaches.  J’ouvre la verrière. Des fleurs tombent du ciel. La joie pure. Merci. Adios. La distribution des prix à lieu un mois plus tard dans les salons très VIII ème du vénérable Aéro-club de France.

Pour la première fois de ma vie, je vais chez le coiffeur. La coiffeuse me snobe, elle voit bien que je débarque de ma province. En sortant de ses mains, je ne me reconnais plus, J’ai pourtant la dernière coupe qui se fait mais je m’aimais mieux avant. Pour terminer la métamorphose, je me vêts d’une robe que je crois chic et je vais à la cérémonie. Oh ! Que je suis mal à l’aise ! Je préfère être seule dans mon avion aux prises avec une météo foireuse plutôt que recevoir des félicitations auxquelles je ne sais quoi répondre. Je n’ai pas encore l’audace de dire que je n’accomplis rien d’exceptionnel puisque j’essaie seulement de faire ce qu’il me plaît.  Madame la comtesse fait son petit discours, s’embrouille dans les nouveau et les anciens francs, me tend de ses doigts gantés de fil d’Ecosse un chèque sur lequel je m’empresse de vérifier sans discrétion le nombre de zéros. J’ai gagné mon million de centimes et un magnifique objet d’art : Une femme ailée et nue en argent jaillit d’une corolle. Charmante. Comme depuis aucune aviatrice n’a fait mieux que moi, j’ai toujours sous les yeux cette fille d’argent qui tente désespérément de s’envoler. Symbole.